Auteur : saleembuendia

Le Celte de la terre

L’Irlandais Roger Casement peut bien être considéré comme un des pères spirituels d’Amnesty International. Au début du XXème siècle, cet engagé ferraille sans cesse, ni découragement, contre les conditions inhumaines des esclaves collecteurs de caoutchouc. Le plus saisissant est la dénonciation, déjà en 1913, de la traite « moderne » d’enfants victimes d’eel suenoxploitation sexuelle dans des bars miteux. Un siècle après, pas grand-chose n’a changé.

D’abord au Congo, puis en Amazonie péruvienne, Casement, au service de la Couronne britannique, porte la plume avec laquelle il écrit ses rapports dans la plaie de la bonne conscience anglaise. Les illusions à propos de soi-disant bienfaits de la colonisation sur les populations de ces régions volent en éclat. Malade et épuisé, Casement, adoubé du titre de Sir, se retourne alors contre le Royaume. Il voue ainsi ses dernières années à la lutte pour l’indépendance de l’Irlande et finira pendu pour cela.

Mario Vargas Llosa s’est très bien documenté sur la vie de ce personnage au parcours il est vrai romanesque. Cela se voit un peu trop. Les (grosses) ficelles de la trame du roman apparaissent dès la fin du premier tiers du livre. L’auteur voit sa créativité bridée par le poids historique de son sujet. La « conversion » du gardien de prison de brute épaisse en type presque compatissant est aussi rapide que mièvre et facile. Les dialogues inventés sonnent parfois creux et peu naturels. L’homosexualité de Casement est par contre évoquée de manière sensible et subtile, en soulignant à quel point la « norme sociale » de l’époque ne tolérait aucun écart du modèle hétéro et du mariage.

Ce livre a été achevé en 2010, quelque mois avant que Mario Vargas Llosa se voit décerner le Prix Nobel de littérature.

L’épilogue mentionne le rapatriement en Irlande des restes de Roger Casement près de 50 ans après son exécution. Cet événement a été documenté ici par des photographies et par un film d’actualité.

El sueño del celta, Mario VARGAS LLOSA

Edité par Santillana Ediciones Generales, Punto de lectura, Madrid, 2011, 455 pages.

3 ans dans la pile d’attente.

Exécutions capitalistes

The ax fait la démonstration de la nocivité intrinsèque du capitalisme. A privilégier l’actionnaire plutôt que les investissements dans l’entreprise réelle, à virer par charrettes entières alors que les comptes sont bénéficiaires, le capitalisme pousse au meurtre. Contremaître spécialisé dans l’industrie du papier, Burke Devore est au chômage depuisresize deux ans. Viré comme un malpropre à l’occasion d’une fusion, il cherche désespérément à sauver son train de vie moyenne et à préserver sa famille et le futur de ses enfants. Mais pas le moindre job ne se présente dans ce coin de la Nouvelle-Angleterre, entre l’Etat de New York et le Connecticut.

Alors Burke a une idée. Il repère un poste de contremaître dans une fabrique de papier pas trop loin. Puis, en publiant une fausse offre d’emploi qui correspond au poste convoité, il recueille les candidatures de six concurrents sérieux car présentant à la fois le même niveau de qualification et la même situation de chômage que lui. Pour être sûr de se faire embaucher, il faut d’abord liquider, un à un, la concurrence, puis exécuter le titulaire actuel du poste.

Burke met en oeuvre son plan en sept meurtres avec notamment l’aide d’un pistolet allemand de la Seconde Guerre mondiale, laissé par son GI de père. De coups de chance en imprévus très vaguement maîtrisés, Burke avance dans la jungle impitoyable qu’est devenu la recherche d’emploi. Burke descend (dans) sa liste de noms et les commentaires acérés et justes sur une économie qui n’a plus de sens se mêlent à l’intrigue.

Adepte d’un style dépouillé, Donald Edwin Westlake, décédé le 31 décembre 2008, a écrit ce livre en 1997 à l’âge de 64 ans.

Ce livre a été transposé au cinéma et dans la réalité française par le réalisateur Costa Gavras en 2005. La bande-annonce du film Le couperet est ici.

The ax, Donald E. WESTLAKE,

Edité par Warner Books, New York, 1998, 339 pages.

10 ans dans la pile d’attente.

Eksplosyon nan vyolans

Liste des sévices : énucléation de globes oculaires au tire-bouchon, éventrement de femmes enceintes, pendaison par la mâchoire à des crocs de bouchers, viols, meurtres et pillages. Cette énumération macabre scande All souls’ rising. Alors que la révolution guillotine à tout va en France, les esclaves retournent l’enfer de ce qu’ils subissent co2015-04-05 13.41.12ntre les colons de Saint-Domingue. A l’humiliation permanente de l’esclavage répond la violence du soulèvement des opprimés vers la liberté. A la négation de l’être humain amené d’Afrique dans des plantations répond la destruction par le feu des champs honnis de cannes à sucre.

Avec ce fil conducteur, Bell décrit le soulèvement de 1791 dans ce qui deviendra Haïti. Il présente la révolte des esclaves comme une manoeuvre des « féodaux » de Saint-Domingue pour faire peur aux couches « progressistes » et révolutionnaires. Celles-ci regardent la France et verraient bien l’égalité des droits être appliquée dans l’île. Mais attention, juste pour eux : pas question de considérer les esclaves et les Noirs comme égaux. Les féodaux perdent le contrôle de leur manigance. Car celui qui devait en être que le pion se révèle un véritable chef de guerre : Toussaint, qui ne s’appelle pas encore Louverture.

Bell s’est largement documenté non seulement sur les événements, mais également sur le vaudou, qui donne au livre sa toile de fond. Doté d’une écriture sans faille et évocatrice, All souls’ rising offre au roman historique ses lettres de noblesse. Ni plus ni moins. Bell est d’ailleurs sans surprise l’auteur d’une biographie faisant autorité sur Toussaint Louverture.

All souls’ rising, paru en 1995, est le premier volume d’une trilogie littéraire sur la naissance d’Haïti. Master of the Crossroads et The stone that the builder refused en constituent la suite.

Le récit de la révolte est entrecoupé par celui de la déportation de Toussaint Louverture, organisée par la France vers le fort de Joux, dans le Jura français.

All souls’ rising, Madison Smartt BELL

Edité par Vintage Books, New York, 2004, 504 pages.

10 ans dans la pile d’attente.

Elias, trois fois Elias…

Les livres rendent-ils autiste ? C’est probable. Le plaisir de la lecture est souvent solitaire : il enferme celui ou celle qui s’y livre dans l’univers d’un(e) auteur(e). Dans Die Blendung, littéralement «L’aveuglement», Canetti décrit la vie de Peter Kien, sinologue émerite, dans la Vienne (?) du début du XXème siècle. Fou des 25’000 volumes que compteIMG_1852nt les quatre pièces de sa bibliothèque, il en a condamné les fenêtres et ouvert le toit pour gagner de la place de rangement. Kien est un misanthrope, un handicapé social qui s’enfonce dans la folie des livres, accumulant des connaissances insensées.

Il se lie à Thérèse, d’abord sa femme de ménage puis légitime, mais seulement pour s’occuper des quelques contingences terrestres auxquelles il ne peut échapper. Sans émotions, ni émois, Kien laisse Thérèse prendre le contrôle de la bibliothèque, donc de sa vie. Chassé de chez lui, il erre dans les rues en compagnie de personnages hauts en couleurs, dont un nain bossu ou le concierge de l’immeuble, policier à la retraite. L’idéalisme de Kien contraste avec le côté terre à terre de Thérèse. Ainsi, iI s’investit de la mission de racheter les livres avant que ceux-ci ne finissent chez le prêteur sur gage. Jusqu’au jour où c’est Thérèse qui arrive pour mettre en gage quelques-uns des 25’000 livres… Canetti lance quelques missiles misogynes avant de laisser partir en flammes le sujet de son roman. Le livre débute bien mais devient hélas laborieux. L’intrigue s’enlise.

Die Blendung est paru en 1936 à Vienne. Il est à vrai dire le seul roman de Elias Canetti, plutôt à classer comme essayiste pour le reste de son oeuvre.

Traduit en français par Autodafé, au vu du sort de la bibliothèque, le titre ferait également référence, selon son auteur, à la montée du nazisme. Responsables du génocide des Juifs d’Europe et de crimes contre l’humanité, les nazis avaient également un goût prononcé pour l’immolation des livres comme montré ici.

Die Blendung, Elias CANETTI,

Édité par Fischer Verlag, Frankfurt am Main, 2004, 554 pages.

8 ans dans la pile d’attente.

Culture Duchamp

D’abord il y a le titre : Ce sont toujours les autres qui meurent, c’est également l’épitaphe qui orne la tombe de l’artiste contemporain Marcel Duchamp. Ensuite il y a le nom du personnage principal: Blainville, c’est aussi le lieu de naissance dudit Duchamp. Enfin, et ce n’est pas tout : la mise en scène d’un crime de ce roman évoque une oeuvre fameuse de l’artiste.

Ce livre est donc perclus de référencesimg_vilar_cest_toujours à Marcel Duchamp, celui qui, inventeur du ready-made, a transformé les urinoirs en oeuvre d’art. Blainville donc, pas tout à fait revenu de l’ultra-gauche française et de ses nombreux sous-groupuscules, se trouve mêlé à la découverte, par la police, de cadavres divers et pas mal avariés. Au travers d’un inspecteur plus intelligent que la moyenne, cette police le traque en espérant vaguement comprendre ce qui motive ces crimes.

Il s’avère que Blainville est finalement (probablement?) manipulé par d’anciens collègues de lutte. Une femme aussi futée que belle et mystérieuse finit notamment par l’ensorceler et l’attirer dans ce qui constitue la toile de fond des meurtres : une opération commando contre la « beaubourgisation » de l’art contemporain. Si ce dernier, par essence révolutionnaire, finit par se figer dans des institutions, tout est foutu. Le commando terminera mal et les oeuvres contemporaines « rebelles » seront réinstallées, consacrées comme art mainstream.

Ce livre est paru en 1982, il a été réédité aux éditions Babel en 2008.

Un groupe de fans de l’auteur Jean – François Vilar propose ici une « flânerie à partir de [ses] écrits ».

C’est toujours les autres qui meurent, Jean – François VILAR,

Edité par Éditions Sadag, Genève, 1982, 278 pages.

7 ans dans la pile d’attente.

Soupe miso

William Makepeace Thackeray a intitulé ce récit Memoirs of Barry Lyndon, Esq. En fait, Bref traité de l’imposture et de la misogynie aurait mieux convenu. En effet, le héros fourbe et sinueux fanfaronne de manière insupportable à travers l’Europe de la moitié du XVIIIème siècle. Dans ce qui était l’Allemagne surtout. thackerayIrlandais de souche, il joue les mercenaires dans l’armée prussienne et truande à un jeu de carte très en vogue à l’époque : le pharaon. En trichant sans cesse ni scrupules, il parvient à enfariner la petite noblesse et se faire payer ainsi son train de vie. Les femmes, sauf sa mère évidemment, sont décrites comme pas futées et ne sont perçues qu’en termes « d’opportunités économiques ». Le prétentieux finit en effet par marier une veuve anglaise, qui lui donne accès à des terres et à une rente de parlementaire à Londres.

Barry Lyndon perd son statut dans un dernier retournement de situation. C’est sa femme qui le roule dans la farine. Assez bon dans l’ironie, Thackeray aurait pu nous épargner quelques longueurs qui délayent inutilement la soupe. Mais rien que l’idée d’un Irlandais qui devient Anglais par intérêt, il fallait oser. Sacré Thackeray.

Ce récit est paru en 1844 sous forme de feuilleton dans Frazer’s magazine.

Stanley Kubrick a tiré de ce récit un film, sorti en 1975, la bande-annonce est visible ici.

Barry Lyndon, William Makepeace THACKERAY

Edité par Oxford University press, Oxford, 1992, 311 pages.

21 ans dans la pile d’attente.

Etude d’un pacte

Le meunier n’est-il pas un peu diabolique sur les bords ? Et pas que sur les bords avec ce pourpoint rouge ? Dans la plaine polonaise, les armées suédoises et russes s’affrontent en ce début de XVIIIe. C’est la « grande guerre du Nord ». Dans ce contexte, deux hommes scellent un pacte non écrit dans un moulin à l’abandon. Les termes de l’accord sont que l’un va prendrschwedischee l’identité de l’autre et vivre sa vie. Ce pacte vaguement faustien est conclu sous l’oeil attentif du meunier, ou plutôt son spectre: il est déjà mort depuis un bout de temps.

Ainsi le cavalier suédois, Christian von Tornefeld, timide et geignard, propose au Voleur (qui n’a pas de nom) d’aller chercher de l’appui auprès d’un oncle qui gère un domaine agricole, parce qu’il n’a pas envie de sortir dans le froid. Il laisse au Voleur une bible porte-bonheur qui servira à ce dernier de signe de reconnaissance. Le Voleur s’y rend, constate que l’oncle est mort et que sa fille Maria Agneta se fait peu à peu dépouiller par des gérants du domaine aussi avides que peu scrupuleux. Il décide de prendre la place de Christian, de remettre de l’ordre sur le domaine. Mais pour cela, il faut du cash qu’il va d’abord aller chercher sous formes ciboires et autres calices dans les églises du coin. Pendant que Christian finit par se faire allègrement trucider sur un champ de bataille, le Voleur usurpe son identité pendant 7 années. Avant que n’arrive le moment du règlement des comptes. Décidé par le meunier au pourpoint rouge ?

Ce jeu sur l’échange d’identité a été publié en 1936 par l’auteur autrichien Leo PERUTZ.
Ce récit est sorti en BD et français en mai 2013, c’est repérable ici.

Der schwedische Reiter, Leo PERUTZ

 Edité par Paul Zsolnay Verlag, Wien, 1980, 243 pages.

24 ans dans la pile d’attente.