Mois: janvier 2016

Le dentier du dragon

Francis Dolarhyde est mal parti dans la vie. Né sans palais, avec un bec de lièvre et les dents de travers, il est rejeté par sa mère dès le troisième jour à la maternité. Sa grand-mère, avec une tête de George Washington du billet de 1 dollar, joue les mamans de remplacement. Un tel handicap ne se remonte pas, il s’expie.2016-01-13 12.32.48-2

Arrivé à la quarantaine, Francis est employé par une entreprise qui développe les films de vacances – nous sommes dans les années 1970, bien avant le numérique. En dehors du boulot, Francis se sculpte un corps d’athlète, se paie un dentier qui lui donne l’air à peu près présentable. Et prépare sa vengeance en voulant devenir…un dragon.

Parce que sa mère est partie refaire sa vie avec un gros riche qui lui a fait trois enfants, Francis repère des familles de ce type via les films amateurs qu’on lui envoie. Avec une mise en scène particulièrement gore, il trucide deux familles au complet pour nourrir le dragon qui est en lui. La police et le FBI lancent alors Will Graham à ses trousses. Ce spécialiste des tueurs en série est aussi malade qu’eux, malgré sa vie rangée.

Graham, il faut bien le dire, patauge au début de l’enquête. Pour trouver des indices, il consulte Hannibal Lecter, tueur en série interné sous très haute surveillance. Il parvient juste à mettre sa propre famille en danger. Pendant que Francis tombe amoureux d’une non-voyante (évidemment avec sa tête…), Graham parvient enfin à connecter les bons synapses. Deux ou trois meurtres plus tard, l’histoire se termine après un ultime retournement. Bien ficelé et efficace, l’intrigue tient le lecteur en haleine et ménage ses effets de surprise.

Red dragon, paru en 1981, est la première des trois apparitions d’Hannibal Lecter, avant The silence of the lambs (Le silence des agneaux), paru en 1988, et Hannibal paru en 1999.

Francis Dolarhyde est inspiré par une aquarelle peinte aux environs de 1805 par William Blake The great red dragon and the woman clothed with the sun, propriété du Brooklyn Museum de New York.

Red dragon, Thomas HARRIS

Edité par Arrow Books, London, 1993, 319 pages.

20 ans dans la pile d’attente.

Réseaux sociaux, société zéro

La Corée du Nord l’a rêvé, les réseaux sociaux l’ont réalisé. « La vie privée c’est le vol » est en effet un des slogans imaginés par l’héroïne de ce roman. Mae Holland, c’est son nom, se fait engager par une firme active sur Internet et ayant basé son succès sur son moteur de recherche. Toute ressemblance avec la virtualité Google n’est absolument pas IMG_1061fortuite, même si l’entreprise s’appelle ici The Circle. Mae en gravit rapidement les échelons, mais au prix d’une reddition quasi-totale de sa vie privée. Elle vit, respire, mange et dort The Circle. Elle se fait happer, consentante, par la machine en lui laissant toutes ses coordonnées et fichiers personnels dès le premier jour. De son cou pend une caméra branchée en permanence et qui filme sa vie en « transparence ». Le travail est organisé pour se mettre une pression insupportable : un rating constant de son travail, une compétition interne stimulée par des classements dans tous les domaines ou une participation « pas obligatoire, mais fortement recommandée » aux activités sociales de l’entreprise.

Les seuls à résister sont les parents ou les amours de jeunesse de Mae, qui ne veulent pas entrer dans le champ de la caméra qui lui pendouille au cou. Eggers met bien en évidence le glissement insensible vers la prise de contrôle par The Circle de la vie de ses employés, puis de tous celles et ceux qui ont un compte chez eux. Par petits clics, en connectant des outils de contrôle de plus en plus complexes, The Circle tisse sa toile mortifère et emprisonne virtuellement ses usagers. Au final, le réseau social met en charpie le tissu social, cette « chose » concrète, faite de contacts entre personnes de chair et d’os, qui fonde toute société humaine. La dictature de The Circle se masque ici d’une fausse cool attitude, pour mieux faire passer la pilule.

A trop vouloir développer sa thèse du danger que représente ce genre d’entreprise totalitaire, Eggers en oublie de soigner son style, la crédibilité de certaines situations et l’épaisseur de ses personnages. Un livre à lire pour le fond et vraiment pas pour la forme : le temps pris pour sa lecture sera au moins volé à Google, Facebook ou Twitter.

Ce roman a été adapté au cinéma en 2017. La bande annonce ici.

L’action de ce livre se déroule dans la baie de San Francisco, où Mae Holland s’adonne à une activité visiblement populaire à cet endroit: le kayak dans l’estuaire.

The Circle, Dave EGGERS

Édité par Vintage Books, New York, 2014, 497 pages.

9 mois dans la pile d’attente.