Mois: avril 2016

La révolution des oeillères

Retrouver son ami d’enfance sur le banc des accusés peut constituer un choc. Encore davantage en exerçant la profession de juge d’instruction et en étant chargé de l’affaire. Dans ce livre, António Lobo Antunes croise les destins de ses protagonistes. Il y a le fils de bonne famille, élevé à la dure par ses grands-parents, après qu’un accident a laissé sa mère sur le carreau et son père à demi-IMG_1135fou. L’avenir radieux lui semble promis, mais il finit en minable agent d’assurance et en révolutionnaire de pacotille. Et il y a le fils du fermier, employé par le grand-père du fils de bonne famille. Malgré les barrières sociales, les deux enfants jouent et grandissent ensemble.

A force d’abnégation, le fils du fermier va grimper les échelons de l’appareil judiciaire. Jusqu’au jour où, pas tout à fait par hasard, atterrit sur son bureau le dossier d’une bande de branquignols. Une parodie d’organisation révolutionnaire qui comprend son ancien camarade de jeux. Enfermés dans leur bulle idéologique, les membres de l’organisation sont ridicules et ne voient pas que leur entreprise est vaine et programmée pour échouer.

Le juge interroge donc l’ami d’enfance. La confrontation fait remonter les souvenirs à la surface et mêle les niveaux de narration. Une pédicure, des cigognes, le son d’un violon, des manipulateurs, un marchand d’armes, des flics véreux, ou encore un bazooka qui fait des ratés apparaissent au fil du récit.

En maîtrise totale, Lobo Antunes entremêle ces différents éléments (les souvenirs, les présents, le futur) en passant de l’un à l’autre sans avertir. Mais sans perdre le lecteur. Ce procédé littéraire se retrouve dans nombre de ses ouvrages tout comme certaines thématiques : la guerre en Angola, la folie, la relation au père, la description d’une société portugaise mélancolique et étouffant sous les conventions sociales. Le style est rythmé, prête à sourire, même si parfois Antunes en fait trop. Des adjectifs et des métaphores en série allongent en effet les phrases. Le souffle manque presque pour en finir la lecture.

Le titre Traité des passions de l’âme est inspiré d’un écrit de 1649 du philosophe René Descartes, intitulé en fait Passions de l’âme. Dans la relation âme – corps, Descartes s’intéresse aux « passions », qui peuvent être en gros traduite dans le langage du XXIème siècle par « émotions ». Davantage d’informations ici.

Lobo Antunes a combattu durant la guerre coloniale (1961 – 1975), au sein des forces portugaises, contre la rébellion luttant pour l’indépendance de l’Angola. Ce thème, évoqué furtivement dans ce roman, traverse l’ensemble de l’oeuvre de cet auteur. Une compilation d’images d’archives françaises sur ce conflit peut être vue ici

Traité des passions de l’âme, António LOBO ANTUNES

Édité par Points Seuil, Paris, 1998, 420 pages.

17 ans dans la pile d’attente.